Dagon, la suite

Il n'est nul besoin de préciser qu'en ce monde, la victoire appartient à ceux qui savent colporter la peur comme il se doit. Nul besoin d'ailleurs d'un prétexte particulier pour prodiguer un supplice, puisque le résultat sera le même. L'auditoire, si nombreux soit-il, adoptera le comportement désiré. À dire vrai, je n'ai guère vu de dérogation à ce principe. Ormis peut-être chez ceux qui ne sont pas tout à fait sain d'esprit, mais c'est une infime minorité entre les murs du Monastère. Je me souviens par ailleurs d'une démonstration faite aux insulaires de Demeradum afin de les déloger de leurs positions. Nous brûlames les maisons environnantes, et leurs occupants avec eux. Il va sans dire que celà enragea passablement les assiégés, qui quittèrent leurs positions afin de venir s'empaler dans les flèches de nos archers. Les survivants prirent la fuite, et nos chiens n'urent point de peine à les achever. Attiser la peur et la haine. Remarquez que ce jour-là, nos économisèrent nos propres pertes. C'est ce qui importe en temps de guerre. Et nous sommes toujours en temps de guerre. Prenez ceci pour acquis.

La peur. Il l'avait connu. Il savait comment la propager. S'en était devenu une spécialité.
Lorsqu'il fermait les yeux, ce n'est pas du noir qu'il voyait mais un champs de bataille ayant macéré au soleil deux jours durant. Il s'en souvient comme s'il l'avait vécu la veille. C'était à ce moment même qu'il avait eu l'impression de naître.
À genou devant les cadavres empilés les uns sur les autres, il priait, absorbait la colère émanant des corps vaincus. Ceux-ci remuaient ostenciblement au gré des prières. Il s'évanouit.

Lorsqu'il se réveilla, il eut l'impression qu'il faisait nuit, puisqu'il ne ressentait plus la chaleur du soleil. Il remua et un son de métal se fit entendre. Lorsqu'il ouvrit les yeux, il faisait noir, mais une petite oréole de lumière était visible au coin de la pièce. On l'avait amené dans un dongeon. Cette pensée l'assoma, et il s'évanouit de nouveau.

Des grognements inhumains. C'est tout ce qu'il entendait. L'air frais se faisait sentir sur sa peau, et il avait l'impression d'être maintenant à la verticale. Il ouvrit les yeux. C'est toute une foule d'orcs qui s'étalaient devant lui, grognant et semblant préparer ce qui devait être un festin. Il avait le pressentiment qu'il faisait parti du menu. Cette pensée raviva en lui une certaine vigueur, et il agita ses liens. Un orc s'arrêta, et grogna une interrogation. Son regard se fixa sur celui de Dagon, et il cessa de bouger, omnubilé. Une foule de curieux s'approcha, et ce ne fut plus un orc qui était figé devant lui mais bien une centaine.

Libéré de ses liens, il constata l'emprise nouvelle qu'il avait sur ces bêtes. C'est donc le présent qu'il avait reçu de Brocal. C'était une fort bonne nouvelle. Le campement où il avait été emmené semblait être un village occupé jadis par des hommes.

Son retour allait bon train, et il appercevait déjà l'île de Nodoc à l'horizon. La vieille galère orque filait au gré du vent, arborant le pavillon du directorat de l'Ordre. Vingt guerriers orcs l'avait accompagné, afin qu'il démontre ce que Brocal lui avait légué au Haut Conseil.